Imaginez, il est 2h du matin, vous levez les yeux, respirez à fond, regardez le ciel et ses étoiles et là… Mais revenons 30 h avant. J'ai l'impression d'être un astronaute sur cette rampe de lancement de la RAF 2022. Dossard 505, première féminine à s’élancer, et 100 mètres plus loin le col de la Machine. J’ai beau me dire d'aller doucement une voix dans ma tête ne cesse et ne cessera de me répéter que je vais être en retard. Les suivants me doublent, et vite, garçons et filles parce que 500 est-ce que c'est vraiment de l'ultra ?Mais je le savais dès le départ, entre les vélos de contre-la-montre, les triathlètes chevronnés ou les t-shirts Iron Man j’ai du mal à savoir si j'ai vraiment ma place. Mais ici il faut se poser les bonnes questions et surtout il faut pédaler, on n’est peut-être pas des 4 chiffres mais à 3 et il faut pas traîner. Après avoir gelé dans la descente du col du Rousset, j'ai la bonne surprise de constater que les prochains kilomètres sont plutôt roulants. La nuit tombe. Mains sur les prolongateurs on s'oblige à avaler un sandwich qu'on vomit, et qu'on remange. Manger toutes les demi-heures boire toutes les 10 min, ne jamais s'arrêter de pédaler, tourner les jambes même si c'est doucement, toujours, toujours pédaler. La nuit est magnifique calme et la vie est belle… Le Mont Ventoux arrive et j'avoue l'avoir tellement sacralisé que je m'attends à quelque chose d'énorme et c'est presque le cas, la pente est parfois à 12%. Certains s'arrêtent, un luxe que je ne peux me permettre. Eux ils vont me redoubler. Moi si je m'arrête est ce que je repartirai? Finalement le soleil se lève et je tourne la tête : une immensité avec des montagnes, et encore une fois je me dis que la vie est belle. Étrangement le parcours de la RAF ne va pas jusqu'au sommet et c'est à pied et avec un rafeur hésitant que je fais les quelques mètres pour me prendre en photo comme tout bon touriste. Nous nous habillons et il faut descendre. Une cyclo est en cours. Je vois des dizaines de gens monter, des affutés, des fins des gros des maigres des vieux des jeunes. C'est fou comme le vélo rassemble. Je m'arrête comme prévu dans un magasin pour me ravitailler et arrive ensuite à la base de vie où je boirai 10 l de café dormirai 15 min C'est, écouteurs dans les oreilles et un petit podcast de la RAF pour me tenir compagnie que je repars. Un garçon sera avec moi pendant 50 km et me fera partager son expérience de l'ultra. Il fait chaud les gorges de la Nesque sont interminables, mais être à 2 change les choses et on pense à nos amis à 4 chiffres qui eux livrent une bataille. Mon père me rejoint pour rouler avec nous 10 km, et à 13h je mangerai même avec mes parents le ravito acheté en bas du Ventoux. Ils me donnent de l'eau et une pêche mais comme dans le village à côté il y a la même chose je n'ai pas beaucoup de remords. Prochain CP Manosque. Prochain CP je dépasse la plus longue distance que je n’ai jamais parcourue. 340km. Je ne sais pas si c'est à cause de ça ou si c'est juste normal, mais les jambes ne tournent plus. Je suis fatiguée sans vraiment l'être, j'ai faim sans vraiment avoir faim. La chance fait que je rencontre monsieur Suze (en référence à son maillot). C'est un gars du 1000, copain de Planplan. Il me raconte ses péripéties et le temps passe. Viens le moment où on se sépare car lui doit dormir et moi encore pédaler, les roues tournent, le temps tourne. J'essaye de dormir 2 fois sans succès. Il a de la circulation, trop chaud, petit coup de blues . Alors on appelle les proches et le Planplan qui va arriver à Castellane. Et ça grimpe de nouveau dans les gorges du Verdon. Je tourne la tête et je n'avais même pas vu le lac de Sainte Croix ! C'est beau ! La nuit commence à tomber, j'aimerai prendre une photo mais les aiguilles ne vont pas s'arrêter alors je continue de grimper. Le désespoir me guette et l’idée d’abandon aussi. Encore une fois la chance est avec moi car je croise de nouveau le garçon de la base de vie et on s’arrête pour manger un peu. Arrivés à Castellane, c'est l'heure du café. Nous tombons sur un restaurant qui a fermé mais les propriétaires sont restés dehors pour fêter l'annonce d'un mariage. Ils nous offrent les gâteaux et nous posent pleins de questions. Ils ont l'air bien heureux. Vivement la bière d’arrivée ! De notre côté nous reprenons les vélos et c'est parti pour les derniers 100 km. Et ça ne rigole pas : le col de Saint-Barnabé avec une rave party au sommet, puis 5km à 5%(ne me jugez pas)… Imaginez, il est 2h du matin. Vous levez les yeux, respirez à fond, regardez le ciel et ses étoiles, et là vous avez envie de pleurer. Parce qu’à votre grande surprise tous vos proches sont encore réveillés et vous envoient des messages. Parce que grâce à eux et à cette RAF, c'est comme si je vivais en un seul instant 1000 vies. Puis il y a les 50 derniers kilomètres (qui ne sont pas qu’une descente). Puis Grasse puis Mandelieu puis la Napoule et puis la Méditerranée. Arnaud nous fait monter inutilement dans un rond-point pour un dernier point de vue avant la ligne d’arrivée. Pour la dernière fois de cette longue aventure je me dis « La vie est vraiment belle »
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